On estime que le Fonds mondial, créé en 2001 par Kofi Annan , a sauvé 27 millions de vies et contrôlé les trois épidémies à tel point qu'il soit réaliste de penser qu’elles puissent prendre fin d’ici 2030. Bien qu'aucune des trois maladies ne puisse être complètement éradiquée d’ici là, il est possible de mettre fin à presque tous les décès et toutes les nouvelles infections, parce que le diagnostic, la prévention et le traitement se sont nettement améliorés et sont devenus beaucoup moins coûteux au cours des 25 dernières années.
Dans le cas du SIDA, le traitement du virus VIH maintient non seulement les personnes infectées en bonne santé, mais réduit également la charge virale à tel point que ces personnes ne peuvent pratiquement plus en infecter d’autres. En ce sens, « le traitement est la prévention »: le traitement d'une proportion suffisamment élevée de personnes séropositives mettra en grande partie fin à la transmission du virus.
De même, les progrès dans le diagnostic (un simple test sanguin au moyen d’un petit prélèvement au bout du doigt), la prévention (des moustiquaires imprégnées d'insecticide de longue durée, parmi d’autres outils) et le traitement (des médicaments combinés à base d'artémisinine à bas prix) permettent d'éliminer la quasi-totalité des décès dus au paludisme (qui sont déjà en baisse d'environ 60% par rapport à leur sommet au début des années 2000). La légère hausse récente des infections et des décès est un signe inquiétant que le monde est de nouveau en train de sous-investir dans ce combat.
Concernant la tuberculose, le défi continue d'être de mettre au point un diagnostic précoce et un traitement efficace, avec une attention particulière à la tuberculose multi-résistante. Le taux de mortalité de la tuberculose a diminué d'environ 42% depuis 2000 . Avec une couverture suffisante de surveillance et de traitement efficaces, les autres décès pourraient être largement enrayés également.
Les coûts relativement faibles et les avantages énormes de ces interventions impliquent que les pays à revenus élevé et intermédiaire-supérieur devraient établir les priorités de leurs programmes et budgets de santé nationaux en conséquence. De manière choquante, aux États-Unis, seulement environ la moitié des personnes séropositives reçoivent un traitement, en raison de la négligence du gouvernement fédéral.
Pour de nombreux pays en développement à revenus faible et intermédiaire-bas, cependant, les budgets nationaux ne sont pas suffisants. De récents calculs du Fonds monétaire international montrent que ces pays ne disposent pas des moyens d'assurer une couverture maladie universelle et d'autres services de base nécessaires pour satisfaire les objectifs de développement durable.
Ce fut l'une des deux raisons derrière la création du Fonds mondial au départ: renforcer la capacité des pays les plus pauvres à lutter contre les épidémies. L'autre raison était de fournir le meilleur de la science mondiale ainsi qu’une gestion rigoureuse en vue de battre en brèche les trois épidémies. Grâce à son modèle d'affaires unique, le Fonds mondial fait les deux: il génère et dissémine les connaissances nécessaires pour lutter contre les trois maladies et surveille rigoureusement la mise en œuvre des projets qu'il finance.
Le Fonds mondial a connu un excellent départ au début des années 2000, avec un fort soutien bipartisan aux États-Unis et un soutien interpartis similaire dans d'autres pays. Le président George W. Bush a été le plus grand partisan du Fonds mondial parmi les leaders mondiaux, et Bill Gates était son principal philanthrope. Mais le budget du Fonds mondial stagne depuis la crise financière de 2008, et un écart s’est creusé entre ce qui est nécessaire et ce qui est financé.
Cet écart devra être résorbé pour octobre 2019, lorsque le Fonds mondial sera réapprovisionné pour les années 2020-22 lors d'une conférence organisée à Lyon par le gouvernement français. Lors de la conférence précédente, le Fonds mondial avait identifié un besoin total de financement pour trois ans d'environ 98 milliards de dollars, dont seulement environ 30 milliards de dollars pouvaient être fournis par les budgets nationaux et d'autres sources. Pourtant, au lieu de combler l'écart de 30 milliards de dollars (environ 10 milliards de dollars par an), les donateurs n’ont donné au Fonds mondial que 13 milliards de dollars. Le manque de financement adéquat a impliqué que les trois maladies ont continué de tuer et de se propager inutilement.
Cette fois-ci, l’entièreté de ce qui manque doit être comblée. Le Fonds mondial publiera sous peu sa propre évaluation des besoins de financement, mais les chiffres ne sont guère susceptibles de changer beaucoup: environ 30 milliards de dollars sur trois ans, soit 10 milliards de dollars par an.
Il s’agit d’un prix remarquablement faible à payer pour sauver des millions de vies. Réfléchissez à ce que représentent vraiment 10 milliards de dollars par an. Pour les 1,2 milliards d’habitants des pays à revenu élevé, cela signifie 8 dollars par personne et par an. Pour le Pentagone, cela signifie environ cinq jours de dépenses. Et pour les 2 208 milliardaires du monde, cela signifie à peine 0,1% de leur richesse nette combinée (environ 9 100 milliards de dollars).
Voici donc une proposition simple: Le Fonds mondial devrait concentrer ses efforts pour récolter 30 milliards de dollars pour les trois prochaines années. La moitié des 30 milliards de dollars pourrait provenir des gouvernements donateurs. Les États-Unis devraient continuer sa tradition de soutien bipartisan. La Chine, un ancien bénéficiaire du Fonds mondial, devrait maintenant devenir un donateur. L'autre moitié du financement devrait provenir de personnes les plus riches du monde, dont la richesse a grimpé en flèche au cours des dernières années. Gates a établi la norme et, dans le cadre du Giving Pledge qu’il a lancé avec Warren Buffett, des centaines de super-riches pourraient facilement promettre 5 milliards de dollars par an pour la période 2020-2022.
Dans un monde divisé par les conflits et la cupidité, la lutte du Fonds mondial contre les trois maladies épidémiques est une question d'intérêt personnel éclairé. Elle est également un rappel de combien l'humanité est capable accomplir quand nous coopérons pour sauver des vies.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
Jeffrey Sachs est Directeur du Sustainable Development Solutions Network des Nations-Unies (SDSN). Guido Schmidt-Traub est le directeur exécutif du SDSN. Vanessa Fajans-Turner est Directrice de la budgétisation et du financement des SDG pour le SDSN.
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