Le commerce inter-africain n'a jamais été autant au centre des préoccupations des dirigeants du continent. Et pour cause : la part des exportations de l'Afrique destinée à ses propres marchés ne représentait guère plus de 17,7 % du total en 2014, selon l'Organisation mondiale du commerce (OMC), contre 36 % vers l'Europe et 23 % vers l'Asie. Mais il faut dire que cette part n'était que de 10 % entre 1995 et 2000. Ce qui augure à une évolution positive des choses. Au cours de ces dix dernières années, le continent s'est beaucoup investi pour améliorer le niveau de son intégration régionale qui ressort comme une véritable priorité. Elle est d'ailleurs la pierre angulaire de la stratégie de développement de l'Afrique. Le libre échange figure parmi les grands axes de l'Agenda 2063 adopté par l'Union africaine. Selon une étude publiée par le think-tank OCP Policy Center, à ce sujet, le commerce interrégional devrait générer des gains de productivité considérables pour le continent. Dans le contexte africain, de tels gains permettront, pour ne prendre que cet exemple, d'améliorer la sécurité alimentaire globale en acheminant, à moindre coût, les produits alimentaires. Les experts de la région tablent sur un volume des échanges entre pays du continent de 25% au cours des 10 prochaines années.
Le poids de l'histoire
S'il est aujourd'hui plus facile d'acheter des produits africains en Europe que dans la région elle-même, c'est parce son industrie a historiquement été focalisée sur l'export vers le vieux continent. Le passé colonial de l'Afrique y a été pour beaucoup dans l'orientation de ses flux commerciaux. Une raison pour laquelle, il est beaucoup plus facile aujourd'hui d'exporter vers l'Europe que vers les pays africains. Les voies aériennes et maritimes sont déjà bien rodées, contrairement à celles qui relient les pays africains entre eux. Fluidifier les échanges commerciaux intracontinentaux nécessite de surcroit une mise à niveau des infrastructures logistiques. L'Afrique accuse un énorme retard quand il s'agit des moyens de transport à l'intérieur de la région ou encore les routes praticables. Mais pas seulement : la levée des obstacles douanière, la mise en place des standards sanitaires et la définition de modes de règlement des litiges intégrés, la libéralisation du commerce des marchandises, la libre circulation des personnes sont autant de défis à relever pour le continent. C'est également l'une des recommandations formulées par OCP Policy center : « Pour que l'Afrique puisse mettre en place des lois et des règlements en faveur du libre-échange entre les pays du continent, les principaux blocs commerciaux comme la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE), la Communauté de développement de l'Afrique australe (CDAA), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) et d'autres groupements devront conjuguer leurs efforts et collaborer de manière constructive pour passer au crible et revoir les barrières tarifaires et non tarifaires qui grèvent actuellement les échanges commerciaux, ainsi que pour établir de nouveaux règlements susceptibles de promouvoir le commerce intra-africain ».
Une zone de libre-échange continentale en 2018 ?
Les problématiques faisant obstacle au commerce à l'intérieur de la région font d'ailleurs l'objet de plusieurs concertations et rencontres entre les principaux acteurs du commerce dans les différentes zones de l'Afrique. La dernière rencontre en date à ce sujet s'est déroulée à Douala, capitale économique du Cameroun. Du 1er au 4 août derniers, une quarantaine d'experts du continent se sont réunis afin de plancher sur la répartition des charges collectives et réfléchir sur la mise en place d'une Task Force régionale. Ils entendent définir une stratégie communautaire harmonisée avant de la soumettre au niveau continental. « Il est prévu que les négociations techniques prennent fin entre octobre et novembre, et que l'accord (Ndlr : Accord sur la zone de libre-échange continentale) puisse être signé par les chefs d'États soit en décembre prochain, soit en janvier 2018 », avait alors précisé Emmanuel Mbarga, négociateur en chef de la zone de libre-échange continentale pour le Cameroun. Il s'agit entre autres d'intégrer un espace commercial d'une valeur de 3400 milliards de dollars avec à la clé un potentiel de développement énorme. Mais, il sera question d'abord de renforcer les capacités de production, de productivité et de valeur ajoutée. Des thèmes sur lesquels l'Afrique accuse, aujourd'hui, un sérieux retard.
Valeur ajoutée à la traine
Car si le continent est considéré comme une véritable mine d'or à ciel ouvert quand il s'agit de matière première, il n'en va pas de même quand il s'agit de transformer et valoriser ces richesses. L'exemple le plus récurrent est souvent celui du chocolat. La quasi-majorité des produits vendus dans la région et dont la matière première est le chocolat utilise des produits de l'import. En cause : l'absence d'usine de transformation du cacao en Afrique. Sachant que le continent produit plus du 70 % de cette matière première au niveau mondial. Une réalité d'autant plus triste quand on sait que la part de l'Afrique dans le commerce mondial en termes de valeur ajoutée est passée de 1,4 % en 1995 à seulement 2,2% en 2011, selon l'OMC. Pour relativiser ce constat, les experts soulignent qu'il s'agit par ailleurs d'une augmentation d'environ 60% en 16 ans, alors que durant cette même période les États-Unis, l'Asie ou encore l'Europe affichent une régression de leurs parts en matière de chaînes de valeurs mondiales.
Ceci dit, les ventes africaines restent fortement concentrées sur les produits de base. Au-delà du pari de l'intégration régionale, l'autre défi réside dans l'amélioration de la part de l'Afrique en termes d'intégration dans les chaines de valeurs mondiales. Cela passe avant tout par une industrialisation massive du continent pour qu'il puisse enfin passer du statut de « mine » à celui d' « usine » !
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